Dans le scriptorium
Actes Sud, 2007, 150 pages
Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf
Travels in the Scriptorium (2006)
L’homme qui, ce matin-là, se réveille, désorienté, dans une chambre inconnue est à l’évidence âgé. Il ne sait plus qui il est, il ignore pourquoi et comment il se retrouve assigné à résidence entre les quatre murs de cette pièce, percés d’une unique fenêtre n’ouvrant que sur un nouveau mur et d’une porte qui, pour lui demeurer invisible, doit bel et bien exister puisque des “visiteurs” vont la franchir… Sur un bureau, sont soigneusement disposés une série de photographies en noir et blanc, deux manuscrits et un stylo.
Me voilà confrontée à un exercice particulièrement difficile, vous parler de ce livre avec un peu de recul (en clair, sans avoir l'air hystérique...) et sans trop en dire pour ne pas gâcher le suspense.
On va commencer par des recommandations (terrain plus sûr que le compte-rendu) : 1° la quatrième de couverture ne lira pas ; 2° une bonne connaissance de l'oeuvre de PA aura. Pour le second point, chacun fait comme il le souhaite mais j'ai relevé pas loin de 6 références à d'autres de ses oeuvres (et encore en comptant La Trilogie comme un tout). Aussi, le lecteur peu initié va passer à côté de beaucoup de choses, voire à côté du livre. S'il lit la quatrième de couv', il comprendra, nécessairement, de quoi il retourne mais le plaisir de lecture sera très limité et, vu commme l'auteur s'est décarcassé pour prendre du recul sur son oeuvre et faire un beau cadeau à ses fans, ce serait fort dommage...
Après avoir tourné autour du pot, je crois qu'il est temps de me jeter à l'eau (pour ceux qui auraient des doutes, je vous rappelle que ceci est ma critique courte ;-)
Auster nous offre ici un livre absolument génial et jouissif. J'ai beaucoup aimé le titre d'un article trouvé sur le web : « Haven't we met before ? » (les lecteurs du Scriptorium comprendront ...) et l'article de signaler, dès la troisième ligne que ce roman est pour les fans d'Auster. Cela signifie non pas qu'il faut aimer Auster pour aimer cet opus mais bien qu'il est dédié à ses fans (tout en étant une prise de recul et comme un bilan de carrière pour l'écrivain à la soixantaine approchante.
Comme dans tous ses romans (court, on a dit, hein...), on trouve deux histoires imbriquées l'une dans l'autre et proposant une mise en abyme du récit. Celle dédiée aux amateurs m'a particulièrement réjouie, peut-être au point d'occulter l'autre qui est plus détachée et relève non seulement de la critique de l'attitude américaine de toujours (et en particulier celle qu'elle eut envers les Indiens) mais qui souligne aussi, par la même, la question de l'humanité et du côté bestial de l'Homme (comme dans La peau froide de Sanchez Pinol où l'on se demande « qui est la bête ? »). Auster est donc, même là, toujours dans sa ligne habituelle, profondément engagé. Toujours est-il que l'aspect jubilatoire du livre relève de l'autre histoire, celle dont il est si difficile de parler sans vouloir trop en dire... Non seulement l'auteur a eu une très belle idée de base, mais en plus il l'a fort bien exploitée. C'est, comme toujours, mené de main de maître. Il a adopté un point de vue original sur le travail du romancier et le rapport de celui-ci à son oeuvre. A ce titre, le finale est excellent, dans la droite ligne du raisonnement d'Auster, raisonnement qu'il pousse jusqu'à son paroxysme, comme à son habitude. Ma critique peut sembler un peu « obscure » à qui n'a pas lu le livre mais je tiens vraiment à préserver le mystère. C'est la découverte progressive de ce qu'il en était qui m'a fait pousser des cris de joie et je ne voudrais enlever ce plaisir à personne !
Et, même si comme le dit Essel dans son article, on comprend les intentions de l'auteur à partir de la page 33 (pour quelqu'un qui a lu son oeuvre s'entend ; un non initié passera la page 33 sans broncher), il n'en reste pas moins que le plaisir reste intact, peut-être même est-il plus fort parce que le lecteur commence à entrer dans une logique d'anticipation tout en ne sachant pas ce qui va suivre. Ca, pour moi, c'est le summum ! On sait que ça s'annonce extra et plein de surprises, mais on reste dans l'ignorance : délicieux !
On retrouve les thèmes chers à l'auteur, notamment le pouvoir des mots, l'enfermement, le personnage manipulé, etc. Le tout dans une intrigue et un style très proche de La Trilogie. C'est de l'Auster « à l'ancienne » et, là où ça tombe bien, c'est que j'ai toujours eu une affection particulière pour les romans de ses débuts.
A noter que le titre est très bien trouvé (la couverture aussi, finalement, même si, au premier abord, elle a un côté "dégoulinade de gris" peu engageant !)
Pour plus de détails, lire le bonus.
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Un homme se réveille dans une chambre, il est assis au bord du lit, les mains à plat sur les genoux et le regard rivé sur le plancher. Il est vêtu d’un pyjama. Il semble désorienté. Il se demande pourquoi il est cloîtré dans cette chambre et dans quel bâtiment il se trouve, une maison ? un hôpital ? une prison ?. La seule chose qu’il sait, c’est qu’il est vieux, mais il ne semble pas en savoir davantage sur sa personne, ni même comment il s’appelle. Cet homme amnésique reçoit des visites, il ne sait pas qui sont ces gens qui lui donnent du « Mr Blank », qui l’obligent à prendre de drôles de comprimés en lui disant que l’heure des comptes est arrivée. Certains d’entre eux l’accusent de les avoir envoyés accomplir de périlleuses missions tandis que d’autres prennent sa défense. En les écoutant, Mr Blank, pétri de culpabilité, ne sait plus comment réagir face à de telles accusations.
C’est un petit livre vertigineux qui flirte entre la fiction et la réalité. Cette surprenante mise en abîme est un régal pour les fans de Paul Auster, avec en toile de fond des interrogations profondes sur la situation politique actuelle aux États-Unis qui, pour unifier le peuple, s’inventent des ennemis même lorsqu’il n’y en a pas. Je relirai certainement ce livre pour mieux assimiler certains détails, et pour m'en repaître de nouveau, ça peut paraître étrange, mais je ne peux pas en dire plus au risque de déflorer l’histoire, juste vous inviter à lire les bonus.
ATTENTION :
Je confirme l’alerte donnée par Flo dans son article : « L’interview de PA dans LIRE ». Surtout, ne lisez pas cet entretien dans ce magazine avant d’avoir lu le livre. Le journaliste dévoile tout du roman et vous n’aurez plus ce sentiment d’étrangeté et de bizarrerie qui vous habitent lors de la lecture, attisant ainsi votre curiosité jusqu’à vous donner envie d’en savoir plus sur le dénouement final qui vous fera applaudir des deux mains !