L'invention de la solitude
Actes Sud, 1988, 180 pages (livre de poche)
Traduit de l'américain par Christine Le Boeuf
The invention of solitude (1982)
Ce livre est composé de deux parties : « Portrait d'un homme invisible » et « Le livre de la mémoire ».
Bien que ce livre soit signalé comme un pilier dans l'oeuvre d'Auster, LE livre qui permettrait de comprendre les autres, j'avoue ne pas avoir vraiment accroché, en particulier à la première partie. Celle-ci part du moment où l'auteur apprend le décés de son père. Il dresse alors un portrait de cet « homme invisible » et on devine en contre-jour comment il s'est construit. Toutefois, j'ai été très dérangée par le portrait qu'Auster fait de son père. Qu'il ait ressenti le besoin d'écrire pour se soulager, je comprends. Qu'il ait publié de tels propos me gêne. C'est-à-dire qu'il veut par son texte rendre moins invisible ce père et lui permettre de laisser une trace de son passage sur Terre. Mais l'image qui se dessine est si peu flatteuse que je me suis sentie de trop, comme si je lisais un journal intime, comme si tout cela ne me regardait pas. A contrario ses propos sur le ressenti éprouvé au décés d'un parent m'ont touchée. J'ai donc lu ce texte avec un sentiment de mal aise.
La seconde partie m'a plus intéressée bien qu'elle m'ait appris peu de choses sur l'auteur. Il me semble que ce texte est intéressant quand on connaît un peu l'écrivain (je ne le recommanderais pas en première approche !) mais pas trop non plus. De mon côté, je connaissais déjà bien les circonstances de ses débuts et n'ai pas eu le sentiment de découvrir grand chose dans ces lignes. En revanche, j'ai aimé sa façon de parler de lui à la troisième personne comme le fait souvent Charles Juliet. On y trouve une partie de ce qui constituera par la suite son univers, en particulier le hasard, les coïncidences, les similitudes, le miroir et les jeux que l'on peut faire avec les mots. J'ai noté également une référence au charpentier de Hölderlin qui s'appelait Zimmer, un nom qui sera utilisé par Auster à plusieurs reprises et qui, cela tombe bien a une signification qui « colle » à l'univers de l'écrivain (la chambre, la pièce fermée...). Il évoque également une expérience dans un « topless bar » qui rappelle une scène de La nuit de l'oracle. Il nous parle de Sir Walter Raleigh auquel il fera ensuite référence notamment dans Mr Vertigo. Je ne parle même pas de ses errances dans Amsterdam et de ses réflexions liées qui rappellent Cité de verre (d'autant plus que New York s'appelait originellement New Amsterdam).
Extraits et remarques :
« A nos propres yeux, nous ne changeons pas. Le temps nous fait vieillir, mais nous ne changeons pas. »
Une phrase qui m'a semblé en résonnance avec son roman, Dans le scriptorium...
« La mémoire... non tant comme le passé contenu en nous, mais comme la preuve de notre vie dans le présent. Pour qu'un homme soit réellement présent au milieu de son entourage, il faut qu'il ne pense pas à lui-même mais à ce qu'il voit. Pour être là, il faut qu'il s'oublie. Et de cet oubli naît le pouvoir de la mémoire. C'est une façon de vivre son existence sans jamais rien en perdre. »
Propos de son fils alors âgé de trois ans : « C'est d'amusant d'imaginer ce qu'on ne voit pas ». Quant on connaît l'oeuvre d'Auster, on ne peut s'empêcher d'être troublé...
« La mémoire : une chambre, un crâne, un crâne qui renferme la chambre dans laquelle un corps est assis. Comme dans cette image : « Un homme était assis seul dans sa chambre. ». » Etonnant comme cette phrase rattrape le début du Scriptorium !